Les récitatifs

"Il ne faut pas oublier que la BD  ne consiste pas à illustrer un texte mais à raconter une histoire au moyen du dessin."
Cosey, in [dBD] décembre 2008

    Les récitatifs, on en trouve souvent en B.D. Il peut s'agir de textes courts comme « Pendant ce temps... » ou « Le lendemain matin... », mais ils peuvent être beaucoup plus étoffés et expliquer ou détailler l'action, comme ce récitatif d'Alix : « Le jeune homme pénètre dans le grand vestibule du bâtiment, encombré de gens de toutes conditions. »

    Les récitatifs servent, à priori, à rendre certaines actions pratiquement impossibles à restituer par l'image. Hergé, par exemple, affirmait lors d'une interview (Hergé, fils de Tintin, 2002) : « Je considère mes histoires comme des films. Donc, pas de narration, pas de description. Toute l'importance, je la donne à l'image. [...] Il m'arrive de devoir utiliser des sous-titres (récitatifs, N.D.W.), mais je ne les emploie guère que pour indiquer de temps à autre la durée [...] car, tout comme au cinéma, la durée est une des choses les plus difficiles à rendre. » Comme l'indique Benoît Peeters, Hergé croyait au pouvoir narratif du dessin et pensait que par de justes enchaînements séquentiels, on pouvait tout faire comprendre sans le secours de la moindre légende. Il s'opposait en cela à Jacobs qui avait une conception littéraire du récit et pour lequel l'image jouait surtout le rôle d'illustration du texte.

    Inutile de dire qu'à mon sens, c'est Hergé qui a raison. L'abus de récitatifs fait entrer le texte en redondance avec l'image, ce qui affaiblit le récit puisqu'on a parfois l'impression de lire deux fois la même histoire, une fois avec le texte et une autre avec le dessin. Alix en est souvent un bon exemple. Témoin la demi-planche ci-dessous :


Le sphinx d'or (c) Casterman

    En voici le texte, récitatifs et dialogues :

D'un grand coup d'épée, Alix se dégage promptement, puis saute sur le phénicien qu'il renverse, et bondit dans le couloir où Karan apparaît justement. Coincé, Alix voit alors le phénicien foncer sur lui, l'épée haute...
« A moi ! C'est Alix! A l'aide ! »
Mais il est encore plus rapide que son adversaire.
Alors, sans perdre un instant, il court, cherchant une sortie. Maintenant, des domestiques arrivent de toutes parts. Une seule issue reste à gauche.
« Arrêtez-le ! Il va s'échapper ! Vite ! »

    Que manque-t-il à ce texte pour être compréhensible, quels sont les renseignements qui ne sont apportés que par le dessin ? 
    Pour l'essentiel, tout est là. Il y a redondance quasi totale entre textes et dessins. En fait, on a l'impression de lire le scénario ! 


     Considérer l'image comme une illustration du texte, c'est remettre en cause ce qui fait la spécificité de la B.D. : cette complémentarité du texte et de l'image où aucun n'a l'avantage sur l'autre. C'est aussi et surtout renoncer à pousser les recherches en matière de codes graphiques et narratifs, qui font qu'effectivement on peut arriver à faire passer et comprendre énormément de choses uniquement par le dessin. Comme le dit Cosey dans l'interview donnée à [dBD] fin 2008, "Il ne faut pas oublier que la BD  ne consiste pas à illustrer un texte mais à raconter une histoire au moyen du dessin."




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