Un dessinateur a également besoin de faire des recherches purement graphiques et va donc réaliser avant la planche proprement dite nombre de croquis et de crayonnés plus ou moins poussés (ainsi nommés, bien sûr, parce qu'ils sont généralement réalisés au crayon).

- il va faire des études : quels visages donner aux personnages, comment rendre tel habit, tel objet, telle matière, telle attitude, tel décor.




Documents d'exploitation pédagogique des albums de bande dessinée de la série Broussaille (c) Dupuis / CRDP de Poitou-Charentes

Exemples de recherches pour un personnage de la série Broussaille, par Frank


    Pour ces études et ces crayonnés de personnages, le dessinateur peut puiser à différentes sources. Comme le dit le scénariste Giroud (Les oubliés d'Annam, Azrayen,...) en parlant de son co-auteur Christian Lax : "Au fur et à mesure de sa lecture (du scénario ou des fiches biographiques des personnages, NDW), il se construit une image [des personnage]. Parfois, un visage apparaît spontanément. Si ce n'est pas le cas, Christian explore divers champs d'inspiration; il peut avoir recours au physique d'acteurs plus ou moins connus, à des quidams croqués dans un café, ou puiser dans des réminiscences dont il ne situe plus lui-même l'origine."




François Bourgeon, le passager du temps (c) Glénat

Recherches graphiques de François Bourgeon sur les vêtements pour ses séries moyennageuses




François Bourgeon, le passager du temps (c) Glénat

Recherches de François Bourgeon sur le décor (une pièce située dans un bateau). Notez les lignes de fuite.


    Pour faciliter leur travail, certains dessinateurs construisent des maquettes des lieux où se situe l'action, voire de certains personnages.


Dans le sillage des sirènes (c) Casterman

François Bourgeon : la maquette du château...                                       ...et le château tel qu'il apparaît dans "Les compagnons du crépuscule"


Dans le sillage des sirènes (c) Casterman

Une autre vue de la maquette : de dessus.


- le dessinateur va ensuite faire des essais de mise en scène des cases et de mise en page des planches, organiser l'enchaînement des cases entre elles, faire le « montage » de la planche. En effet, quand un lecteur ouvre une bande dessinée, il appréhende globalement la page, et ne se focalise sur la succession des cases qu'ensuite. Il étudie souvent plusieurs possibilités et réalise plusieurs versions de sa planche, comme dans l'exemple ci-dessous.

Voici deux essais de composition de la première planche de l'album de Buddy Longway "Le démon blanc". Celui de droite a satisfait l'auteur.


L'aventure d'une B.D. (c) Le Lombard

Il a donc réalisé un troisième crayonné, plus poussé.  A droite, la planche elle-même.



Documents d'exploitation pédagogique des albums de bande dessinée de la série Broussaille (c) Dupuis / CRDP de Poitou-Charentes

Autre exemple de recherche : un crayonné par Frank de la première planche de "La nuit du chat", un album de Broussaille.


    Il existe quantité de manière de composer une planche, de la plus simple à la plus recherchée. Quelques exemples de planches dans leur version finale :


Tango (c) Casterman

Le classique « gaufrier » : par exemple Hugo Pratt sur la fin de sa carrière : « Tango »




Soviet zig zag (c) Milan

Plus construite, variant la taille des cases : « Zoviet zig zag »


    Il arrive aussi que l'agencement des cases de la planche fasse sens. Voici un extrait de « Cauchemar blanc » de Moebius : la superposition des cases exprime la simultanéité de l'action et non sa continuité comme dans le cas d'une succession de cases :



Cauchemard blanc (c) Les Humanoïdes associés



    En voici un autre exemple dans cet extrait de « La nuit du chat » de Frank et Bom : la déformation des cases, le personnage qui leur est superposé, la présence d'un personnage en double dans la même case, tout ceci veut rendre l'état d'ivresse du héros et les troubles de perception qui en résultent :



La nuit du chat (c) Dupuis


- Le dessinateur va, enfin, bâtir le contenu de chaque case.

    Et chacune de ces cases peut être plus ou moins travaillée. Voici un exemple de case particulièrement réussie d'Hergé :








    Si on détaille cette case, on voit qu'Hergé arrive à indiquer à la fois l'action passée (les personnages arrivent du navire visible en arrière-plan, la chaloupe le montre), l'action actuelle (ils sont en train d'accoster un rivage) et l'action future (le rivage en question n'est visiblement pas sûr si on en juge par l'expression du capitaine et le fusil qu'il tient en mains, mais ils comptent visiblement affronter le danger et partir en exploration). Tout ceci en une seule case
et sans le moindre dialogue : assez remarquable, non ?

  Le trésor de Rackham le Rouge (c) Casterman









    En parlant de dialogue, notons que textes et dessins sont censés être complémentaires et apporter chacun une part du sens et de la narration. Ceci aussi a été le fruit d'une longue évolution. Longtemps le dessin a été plus ou moins perçu comme une illustration du texte, et il n'était pas rare qu'il y ait redondance. Voici par exemple un extrait de « Le spectre aux balles d'or », de Charlier et Giraud. Lisez cette planche en gommant mentalement le pavé de texte de la troisième case : la compréhension de l'action n'en est absolument pas gênée.

Le spectre aux balles d'or (c) Dargaud


    Citons pour finir cette source d'inspiration graphique un peu particulière qu'est le travail des autres dessinateurs. Les auteurs de B.D. aussi lisent de la bande dessinée et admirent les albums de leurs collègues. Comme n'importe quels artistes, ils peuvent se voir influencer par telle ou telle oeuvre. Disons-le aussi, comme partout, des auteurs mineurs peuvent bâtir  une carrière sur le plagiat des grands : le cas de Seron qui aura passé sa vie à (essayer de) faire du Franquin en est un bon exemple.
    Mais même de vrais créateurs peuvent avoir débuté en recopiant ou en s'inspirant des dessin de leurs idoles. Léo, dessinateur d'Aldébaran et de Kenya, a l'honnêteté de le reconnaître (Bo-Doï n°80, décembre 2004) : "En 74, chez un ami dessinateur connu, j'ai découvert une pile de Pilote et de Métal Hurlant. [...] J'en suis resté soufflé ! Jean Giraud, avec ses petites histoires d'Arzach, me fascinait. Son grand oiseau blanc, son dessin fort, son monde étrange et cruel m'ont impressionné. Je m'en suis inspiré [...] Il a continué à m'inspirer longtemps. Lorsque j'ai attaqué Trent avec Rodolphe, j'avais toujours un Blueberry ouvert sur la table." Et quand on lui demande si c'était pour pomper les chevaux, il répond : "Les chevaux non, pour ça j'avais des photos. Mais tout ce qui fait la magie du cheval en mouvement, oui ! Cette élégance dans les hachures, les ombres, la poussière, tout était incroyablement réussi chez Giraud ! J'ai également pompé sa manière de dessiner la mer. [...] Giraud donne des idées pour se débrouiller aussi bien au pinceau qu'à la plume."




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