(et quelques considérations sur les droits d'auteur)


    En 1929, c'est la naissance de Tintin, qui connaitra un succès international. Hergé va énormément influencer la bande dessinée européenne, à la fois au niveau graphique et narratif. Surtout, il va amener deux éléments fondamentaux :

- le scénario bâti de bout en bout : relisez ses premiers albums (Tintin en Amérique, Tintin au Congo) et vous verrez que le récit consiste plus en une série de séquences juxtaposées et interchangeables qu'en une histoire linéaire, même si on trouve un lien de fond. Les choses changeront avec « Les cigares du Pharaon » et surtout « Le lotus bleu » où la construction de l'histoire est bien plus précise et élaborée.

- la documentation : sa rencontre avec un jeune étudiant chinois, Tchang Tchong-Jen, alors qu'il réalise ces deux albums, l'amène à approfondir ses histoires et à mieux se documenter. A cet égard, on peut se demander si cet extrait du « Lotus bleu » n'est pas un exorcisme du ton caricatural qu'il aurait pu donner à son histoire s'il n'avait pas fait cette rencontre, et qui était le sien dans « Tintin au Congo » par exemple.

tintin lotus bleu

Le Lotus bleu (c) Casterman



    En 1938 naissent Spirou et son journal, qui sera une pépinière d'auteurs de premier plan : Franquin (Gaston Lagaffe), Morris (Lucky Luke), Jijé (Valhardi, Jerry Spring), Peyo (Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs), Tillieux (Gil Jourdan), Roba (Boule et Bill), Charlier (Buck Danny), et bien d'autres.

    Le personnage de Spirou connaîtra plusieurs dessinateurs successifs : Rob-Vel, Jijé, Franquin, Fournier, Nic Broca et Cauvin, Tome et Janry (qui créent le petit Spirou). Ce cas de figure va nous permettre au passage de parler de la façon dont fonctionne le système des droits sur les personnages.

            Les droits d'auteurs

    En Europe, les auteurs sont propriétaires des personnages qu'ils ont créés. S'ils acceptent par contrat de faire publier leurs albums chez tel éditeur, ils redeviennent à l'expiration du contrat libre de faire ce qui leur convient. C'est ainsi que Goscinny a pu récupérer Lucky Luke pour Dargaud et le journal Pilote à l'occasion d'une fin de contrat, alors que ce personnage avait été créé pour les éditions Dupuis et le journal Spirou. Les contrats sont renégociables quand ils viennent à expiration (en terme de salaire notamment), les planches restent la propriété du dessinateur, les auteurs touchent des dividendes sur les ventes à l'étranger, les rééditions ou le merchandising, etc...

    Ce système n'est pas universel. Rien de tel, par exemple, pour les auteurs américains qui ne semblent pas toujours profiter des mêmes droits sur la propriété intellectuelle que les auteurs français. Souvent, dans l'industrie (car c'en est une) des comics de super-héros type Superman ou Spiderman, ils ne sont pas propriétaires de leurs personnages (qui appartiennent à l'éditeur) et souvent même pas de leur travail : les planches sont vendues une fois pour toute à l'éditeur. Ils sont payés de façon forfaitaire et ne touchent généralement aucun droits sur le tirage, les rééditions, les produits dérivés. S'ils ne donnent pas satisfaction, le personnage leur est enlevé et est confié à d'autres dessinateurs. Difficile dans ces conditions de parler de travail d'auteur et la qualité globale de la bande dessinée américaine, notamment pour la jeunesse, souffre de cet état de fait ! (A contrario, les bonnes conditions faites aux auteurs européens, et notamment français et belges, ont favorisé l'apparition d'une bande dessinée de qualité). Mais bien sûr les choses évoluent, ce cas de figure n'est pas une règle absolue, les auteurs les plus doués arrivent à s'imposer et il y a une production adulte riche, un travail d'auteur, une reconnaissance aux États-Unis aussi.

    Notons par ailleurs que la production éditoriale elle aussi est différente : la B.D. paraît dans la presse et les comics, les albums « de luxe » comme les nôtres (grand format, cartonnés, comme ceux de Tintin ou d'Astérix) sont peu connus là-bas.

    Pour en revenir au cas « Spirou » et pour donner une idée de ce que peut être la gestion des droits (dans un cas un peu alambiqué, je l'avoue), leur historique donne à peu près ceci :

- Robert Velter, qui signe Rob-Vel, crée les personnages de Spirou et de son écureuil Spip en 1938. Appelé sous les drapeaux, il ne peut plus animer la série qu'épisodiquement. Il revend donc ses personnages en 1943 aux éditions Dupuis qui en sont encore aujourd'hui propriétaires.

- Jijé a repris le personnage (avec l'accord de Dupuis) et lui adjoint un compagnon, Fantasio. Quand il abandonne la série à Franquin en 1946, il revend à Dupuis le personnage de Fantasio. Ce dernier est en effet la propriété de Jijé puisqu'il en est l'auteur.

- Franquin va animer Spirou pendant plus de vingt ans et créer tout un univers autour de ce héros : le comte de Champignac, le maire de Champignac, le marsupilami, Seccotine, Zorglub, etc... Quand il cédera à son tour la place à d'autres il revendra tout ce petit monde à Dupuis, à l'exception notable du marsupilami. C'est pourquoi ce dernier n'apparaît plus dans les aventures de Spirou et vit maintenant, sous la plume de Batem ou en dessin animé, sa propre vie.

    Bien que ce cas de figure soit assez exceptionnel, on voit ainsi comment les droits peuvent appartenir à plusieurs personnes et évoluer à l'intérieur même d'une série donnée.


Z comme Zorglub, de Franquin (c) Dupuis

Sur les cinq personnages de cette case, deux ont été créés par Rob-Vel, un par Jijé et deux par Franquin.
Sauras-tu rendre chaque personnage à son créateur, ami lecteur ?


    Le journal de Tintin naît en 1946 et va lui aussi publier des auteurs et des séries phares de la bande dessinée : Jacobs (Blake et Mortimer), Cuvelier (Corentin), Martin (Alix), Tibet (Chick Bill, Ric Hochet), Graton (Michel Vaillant), etc...

    Il y a une différence entre le journal de Spirou et celui de Tintin : le premier est plus axé sur l'humour, le second sur l'aventure (Hergé a un droit de regard sur ce qui passe dans le journal et il est très réticent devant l'ironie, la violence, etc... Pour lui, les héros de B.D. doivent être positifs).

    Notons que « Spirou » et « Tintin », ces deux grands journaux de B.D. pour enfants, sont belges. Un autre grand hebdomadaire de bande dessinée existe en France : Vaillant, qui deviendra Pif Gadget. Édité par le parti communiste (mais ça ne se sent qu'en filigrane dans le contenu du journal), il publie lui aussi de grandes signatures : Poïvet (Les pionniers de l'espérance), Arnal (Pif le chien, Placid et Muzo), Cézard (Arthur le fantôme), Gillon (Fils de Chine), Tabary (Richard et Charlie, Totoche), Gotlib (Nanar et Jujube, Gai-Luron), etc... Cette production pourtant riche laissera moins de trace dans l'histoire de la bande dessinée qu'elle ne l'aurait mérité, sans doute à cause d'une politique de production d'albums quasi inexistante.


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