Le temps en cases



    Toujours dans "L'art invisible", Mac Cloud fait observer qu'on a souvent tendance à considérer qu'une case représente un « moment » de temps, une photographie de la situation à un instant « t1 », les cases suivantes représentant les instant « t2 », « t3 », etc... Ce n'est bien sûr pas toujours faux, mais ça l'est très souvent, et c'est en tout cas très réducteur.

    Prenons pour exemple la case suivante (Mac Cloud, « L'art invisible ») :


"L'art invisible" (c) Vertige Graphic


    L'action décrite dans cette case unique est en fait une succession d'actions qui ne sont en aucun cas simultanées puisque consécutives les unes aux autres. Entre la première et la dernière, il peut s'être écoulé une trentaine de secondes. En fait, cette case pourrait très facilement être fragmentée en plusieurs, comme ceci :


"L'art invisible" (c) Vertige Graphic


    Une case n'est pas une photo !

  Par ailleurs, le dialogue n'est pas la seule façon par laquelle rendre l'impression de durée à l'intérieur d'une case. Jetons un coup d'oeil à cette case d'Hergé :


Coke en stock (c) Casterman

    Le sens de lecture étant de gauche à droite, on voit bien comment la succession d'attitude des attaquants rend l'impression de temps en décomposant leur mouvement de fuite, depuis celui qui est encore couché à celui qui est déjà en pleine course. Il arrive ainsi à dire en une seule case que les bédouins sont paniqués par la colère du capitaine Haddock, abandonnent leur poste et s'enfuient tous.


    On peut également illustrer l'afirmation qu'une case n'est pas une photo en tentant de "chronométrer" l'action se déroulant dans une succession de cases. Prenons la planche suivante, extraite des "Olives noires" de Sfar et Guibert :


Les olives noires (c) Dupuis

Première case, l'homme vient de se réveiller et regarde son fils dormir : ça peut durer de quelques secondes à quelques minutes.
Deuxième case, il recouvre son fils : 5 à 10 secondes.
Troisième case, il s'est installé près du feu et veille : ça peut être aussi bien une demi-heure que deux ou trois heures.
Quatrième case, un dialogue très court entre le père et le fils :
mettons 10 secondes.
Cinquième case, ils préparent leur départ, le père bâte l'âne : une bonne demi-heure.
Sixième case, ils se rendent à la ville voisine :
là aussi, ça peut être aussi bien une demi-heure que trois heures.

    On voit bien que ces six cases, de dimensions identiques, recouvrent des durées totalement différentes. En fait, plutôt qu'à une photo, on pourrait paradoxalement comparer une case aux phrases ou aux paragraphes d'un texte. Si j'écris : "Le père remonta la couverture sur son fils. Puis il s'intalla près du feu et attendit l'aube.", j'ai deux phrases, à peu près de la même longueur, mais qui décrivent des actions de durées totalement différentes. Ce qui, malgré la composante largement graphique de la Bande Dessinée, nous ramène tout droit à son aspect narratif : avant tout, la Bande dessinée raconte quelque chose.




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